La question des rapports entre noblesse et chevalerie se situe, depuis toujours, au cœur d’un débat d’historiens souvent fort animé. Il oppose en effet, sur de nombreux points, les meilleurs médiévistes de notre temps. Les causes de ces divergences sont multiples. Elles tiennent, pour l’essentiel, aux diversités régionales et aux conceptions différentes de ces historiens sur les notions mêmes qu’expriment les mots « noblesse » et « chevalerie ».
Qu'est ce que la Noblesse
Prononcer le mot « noblesse », c’est se référer à un système social et juridique auquel a mis fin – du moins en théorie – la Révolution française.
Dans la société de l’Ancien régime, avant 1789, les trois fonctions évoquées, dès le 9ème siècle, par certains théoriciens ecclésiastiques (« ceux qui prient, ceux qui combattent, ceux qui travaillent ») ont fait place à trois ordres, fondements du « féodalisme », le clergé, la noblesse et le tiers-état.
Chacun de ces ordres est clairement délimité par le droit. Leurs membres, du seul fait de leur appartenance à l’une ou l’autre de ces catégories socio-juridiques, sont soumis à des lois et règles particulières, jouissent de privilèges spécifiques ou supportent des devoirs, charges et contraintes inhérentes à leur qualité.
La tentation est grande d’assimiler dès l’origine chacune de ces trois fonctions anciennement définies à l’ordre qui semble lui correspondre au stade final de l’évolution historique. Il convient toutefois de se garder d’une telle assimilation, plus hasardeuse qu’il n’y parait. Certes, l’ordre du clergé englobe à coup sûr l’ancienne catégorie des « oratores », même si, par ces mots, les plus anciens textes désignaient avant tout les évêques. La coïncidence du tiers-état et des « laboratores » semble déjà un peu moins nette car, aux 9ème et 10ème siècles, cette expression s’appliquait essentiellement à la fonction nourricière accomplie par les agriculteurs. Le tiers-état regroupe en son sein les paysans, mais aussi des catégories qui n’étaient pas « prévues » initialement : artisans, marchands, artistes, industriels, banquiers, etc…, et jusqu’à des capitaines de navires, corsaires et guerriers redoutables. La plupart de ces « bourgeois » et roturiers n’auraient pas eu leur place dans la catégorie initiales des « laboratores » : les deux derniers auraient plutôt été inclus dans celle des combattants. « Bellatores » désignait en effet des personnages de haut rand, rois, comtes, princes et sires menant derrière eux leurs troupes de guerriers. Mais elle en vit très vite à inclure les « milites », ces guerriers dont rien ne nous dit, bien au contraire, qu’ils aient été alors tenus pour nobles.
Au terme de l’évolution, la noblesse inclut bien ces groupes aristocratiques qui, en guise de taxes et contributions financières (dont ils sont dispensés pour cette raison), paient « l’impôt du sang » en guerroyant pour le royaume. Mais tous les combattants ne sont pas nobles et tous les soldats de l’Ancien régime ne sont pas chevaliers. Mieux encore : les nobles qui combattent dans les armées royales sont bien loin de pouvoir porter ce titre.
A l’inverse, dans l’Ancien régime, de très nombreux nobles se soucient fort peu des activités belliqueuses : ils tiennent leur noblesse de leur fonction ou de leurs charges (noblesse de robe, voire de plume), ou de leur possession de terres réputées nobles, ou de lettres royales d’anoblissement.
Mieux encore : tous les membres de l’ancienne noblesse d’épée n’ont pas fait carrière dans les armes. C’est assez dire que l’on ne peut en aucun cas assimiler à la noblesse l’ordre des « milites » défini vers l’an mil.
Le terme Noblesse
Qu’entend on alors, à cette date, par le terme « noblesse » ?
Le substantif « nobilitas » ne se rencontre guère avant le 13ème siècle pour désigner un groupe d’hommes particuliers. Le mot est encore rare et désigne une vertu, l’élévation de l’âme. L’adjectif « nobilis », beaucoup plus répandu, revêt à peu près la même signification et s’applique d’abord aux personnages dont les qualités morales ont unanimement attiré l’attention et le respect.
C’est donc avant tout la dignité du comportement de certains êtres, hommes et femmes, qui leur vaut le qualificatif de ‘noble ». Il est synonyme de « remarquable », « digne d’admiration », « célèbre », « réputé », et souligne à la fois l’excellence morale et la notoriété sociale qui en découle. On l’emploie d’ailleurs encore dans ce sens, aux 11ème et 12ème siècles, en latin comme en ancien français, à propos de choses bien plus que d’être vivants. Une ville, une forteresse, un cheval, un vêtement ou une épée peuvent ainsi être qualifiés de « nobles » pour souligner leur opulence, leur invincibilité, leur richesse, leur beauté ou leur extrême qualité.
Il en va de même pour les hommes, dont le terme « nobilis » exprime la valeur reconnue. Dire d’un homme qu’il est ‘issu d’une noble famille » exprime principalement la renommée dont elle jouit.
Par ce biais, toutefois, cette qualité tend à devenir héréditaire dans la mesure où les clercs et les moines – rédacteurs presque exclusifs de la documentation médiévale de haute époque – attachent ce qualificatif à un certain type de comportement lié surtout à la piété qui s’exprime par des fondations d’église, d’abbayes ou de prieurés, des legs, donations ou autres « bienfaits » dont ils sont les destinataires. Les clercs attendent des Grands un tel comportement « noble ». La noblesse, et même la sainteté, sont ainsi réservés à des personnages d’un rang social élevé.
D’ailleurs, la plupart de ces grandes familles dirigeantes fournissent à la fois les princes, les évêques et les saints dont les clercs rédigent les hauts faits dans leur « vitae » ou « gesta ».
En d’autres termes, au seuil de l’an mil, on attend des familles aristocratiques qu’elles soient « nobles ». Elles le deviennent. Et du même coup, être issu d’une telle famille réputée « noble » en vient à signifier que l’on naît noble soi même, membre, par le sang, d’une noblesse qui ainsi, de morale, tend à devenir sociale.
Quel niveau ?
Selon Adalbéron, « les nobles sont issus du sang des rois ». L’école historique allemande semble en partie confirmer ce point de vue : la plupart des familles qui, au 11ème siècle, se partagent le pouvoir en Allemagne comme en France, sont en effet issus de lignages Carolingiens.
Les branches cadettes, collatérales ou bâtardes de ces lignages prestigieux sont souvent aussi à l’origine des principautés mineures.
Mais la noblesse ainsi obtenue demeure toutefois singulièrement étroite. Faut il l’élargir jusqu’à l’assimiler à la liberté, comme on l’a soutenu un moment ? Ce serait excessif, inacceptable en tout cas dans de nombreuses régions d’Occident où il ne manque pas d’individus libres qui ne furent jamais considérés comme nobles.
De ces longs et âpres débats mettant aux prises l’historiographie allemande, belge, italienne et française, et où viennent parfois se mêler des travaux plus récents issus d’Espagne, d’Angleterre ou des Etats Unis, il ressort quelques conclusions que l’on se contentera ici de résumer. On peut les tenir pour sûres. Elles conduisent à donner de la noblesse, aux 11ème et 12ème siècles, une image à la fois très nette et forte quant à son contenu, assez vague quant à sa définition et floue quant à ses limites.
Ainsi – on l’admet aujourd’hui à peu près unanimement -, la « noblesse » s’accompagne généralement de l’exercice du pouvoir sans toutefois se confondre avec celui-ci. On attend d’un noble qu’il soit riche et puissant, mais ni la richesse ni la puissance ne suffisent à faire un noble. De même, liberté et noblesse vont de pair, tandis qu’au contraire servitude et noblesse semblent incompatible. Pourtant, du 10ème au 13ème siècles, particulièrement en Allemagne, les empereurs ont confiée à des non-libres, les ministériaux d’empire, de très hautes fonctions de gouvernement et d’administration qui ont, par la richesse, la puissance et la notoriété, élevé socialement ces personnages au niveau d’une véritable « noblesse de fonction ».
La noblesse on le reconnait repose sur la naissance. C’est une qualité transmissible par le sang, à titre héréditaire. L. Génicot a bien résumé ce point de vue en une formule lapidaire : « on naît noble, on ne le devient pas ». Pourtant, la noblesse n’a jamais été une classe totalement fermée. Sa simple survie en tant que classe imposait un renouvellement, fût il modéré. Les anoblissements témoignent d’ailleurs de cette réalité.
Comment concilier entre elles tant d’affirmations à la fois si solides et contradictoires ? La solution semble résider dans une conception plus souple, moins dogmatique de la noblesse ancienne. E. Perroy, il y a plus de 30 ans, avait mis les chercheurs sur la voie en suggérant une approche privilégiant les critères subjectifs de réception, de mentalités ; être noble, dans une société sans Etat véritable et sans contrôle d’état civil, c’est avant tout être perçu et tenu pour tel. TH. Caron, dans une belle étude sur la noblesse, a récemment confirmé ce point de vue. Cela tient à une manière de vivre, d’être et de paraître, d’agir, de se vêtir, de parler : en bre, d’être admis par ses pairs dans une société dont les membres se connaissent, et qui se reconnaissent par des signes qui tiennent précisément au comportement et au paraître.
Dans cette définition, chacun des facteurs jusqu’ici évoqué joue un rôle sans être à lui seul déterminant : naissance, puissance, richesse, autorité, réseaux d’alliances familiales ou amicales, générosité, faste, arrogance même accompagnent cette noblesse et contribuent à la définir et à la délimiter.
Une telle conception, malgré ses évidentes lacunes, a du moins le mérite de mieux correspondre à la réalité observable. Elle rend compte par ailleurs d’un fait notoire, trop souvent négligé, souligné par l’étude du vocabulaire employé dans les textes médiévaux du 9ème au 13ème siècle : les hommes n’y sont pas séparés en nobles d’une part, ignobles de l’autre ; ils sont qualifiés de « peu nobles », « assez nobles », « moyennement nobles », « très nobles » ou « extrêmement nobles ».
Ces expressions traduisent un fait : dans la mentalité du temps, la noblesse n’est pas encore un statut social ou juridique ; c’est une qualité familiale et lignagère qui comporte des degrés.
Noblesse et Chevalerie
Tel n’est pas le cas de la chevalerie. Dans sa thèse magistrale sur la société Mâconnais, G. Duby affirmait l’interchangeabilité des termes « miles » et « nobilis ». Il expliquait que la mutation féodale avait consacré l’essor de la classe chevaleresque se confondant très tôt avec la noblesse ; par la suite de la militarisation croissante de la société après l’an mil, et pour souligner la prépondérance de cette petite noblesse guerrière des châtelains imposant par la force leur autorité (ban) à l’ensemble des habitants de la seigneurie, les rédacteurs des actes auraient ainsi substitué, « miles » à « nobilis » ; à propos des hommes du moins. Ils auraient en effet conservé « nobilis » pour les femmes, pour une raison simple que G. Duby exprimait avec humour : c’est que le mot « miles » n’a pas de féminin.
Peut être n’est pas la seule raison. Car « nobilis » ne disparaît pas des actes ; c’est « miles » qui les envahit. Les rédacteurs conservent donc tout naturellement, « à l’ancien », la notation « nobilis » lorsqu’il s’agit de femmes, qui ne combattent pas etne peuvent donc se parer de l’appellation « miles ».
Quand aux hommes de l’aristocratie, on les désigne, certes par « miles » pour insister sur leur fonctions militaire, devenue désormais à la fois indispensable et honorable. Mais leur notoriété, leur « noblesse » continue à être notée par le même mot « nobilis ». Chevalier, comme « miles », n’a pas de féminin, mais il n’admet pas non plus de degré d’intensité.
On est chevalier ou on ne l’est pas. Mais on peut, en revanche, être « seulement » chevalier, noble ou très noble chevalier, et ce n’est pas du tout la même chose.
En d’autres termes, la chevalerie ne s’est pas ici substituée à la noblesse ; elle s’y est ajoutée, comme une dimension nouvelle ou plus exactement une dimension fort ancienne mais récemment admise comme valorisante : la profession guerrière.
Une question se pose alors : cette valorisation croissante de la chevalerie pour les motifs politiques et militaires que l’on sait, aurait elle rapproché la chevalerie de la noblesse, voire transformé l’une en l’autre ?
M. Bloch a jadis soutenu cette thèse, fortement nuancée depuis par G. Duby et la majeure partie des historiens français. A. Barbero a récemment tenté de la faire revivre. Elle amène à nier plus ou moins fermement l’existence d’une véritable noblesse avant l’an mil. Seul compterait le réseau des alliances « horizontales », des alliances et des amis. Au 11ème siècle, la formation de la chevalerie et la diffusion contrôlée de l’adoubement aurait ainsi créé une aristocratie guerrière qui, mettant l’accent sur la filiation verticale, se serait transformée en « noblesse ». La thèse est séduisante, tout autant que son opposée, défendue par D. Barthelémy, pour laquelle au contraire, noblesse, pouvoir et chevalerie se confondent dès l’origine et ne doivent en aucun cas être disjoints.
Les rapports entre pouvoir et chevalerie nous retiendront peu : on ne peut guère accepter, en effet, de confondre ceux qui disposent de la « puissance publique » et exercent le pouvoir, avec les « milites » qui en sont les exécutants, les mains armées.
L’existence d’une aristocratie, d’une « noblesse » bien antérieure à la formation de la chevalerie n’est pas non plus contestable, malgré le flou de sa définition à haute époque.
Il convient en revanche d’accorder plus d’intérêt aux rapports entre chevalerie et noblesse au travers d’études de cas réels révélés par les textes.
Pour la situation antérieure à l’an mil : les textes mentionnent des personnages qu’ils disent « nobles » ou « très nobles » dans le sens défini plus haut. Le mot « miles » en revanche y apparaît peu. Les nobles ne se disent pas « chevaliers ».
Au 11ème siècle et au 12ème siècle : les textes subissent une brutale et massive diffusion du terme « miles » dans les actes. On trouve de très nombreux cas de « nobles » qui sont également nommés « chevaliers » : ou bien, si l’on préfère, les « milites » qui sont appelés « nobles ». Ce fait pourrait traduire, s’il était seul, l’adoption de la chevalerie par la noblesse, ou bien l’inverse, ou encore la fusion précoce de ces deux entités.
Mais tel n’est pas le cas, il existe en effet au 11ème et 12ème siècle, des chevaliers qui ne sont pas nobles et ne peuvent nullement prétendre à cette noblesse car ils ne présentent aucun des traits caractéristiques définis plus haut. C’est le cas des chevaliers pauvres qui, privés de leur « matériel », ou malades, blessés ou trop vieux, ne sont plus en état d’exercer leur profession militaire ; ils retournent alors à leur condition de « rustici », comme en témoignent, au 12ème siècle, les « Usages » de Barcelone, ceux de Bigorre, de Hainaut, d’Anjou, ou quelques autres dispositions prises en Allemagne à la même époque.
C’est le cas aussi, en France, peu après l’an mil, de ces « chevaliers paysans » révélés par les fouilles archéologiques du lac Paladru ; ou encore des paysans non-libres, des serfs qui parviennent à se glisser dans le monde des chevaliers et tente de vivre « noblement », sans parvenir à effacer leur origine servile ; en 1127, le meurtre du Comte de Flandre Charles le Bon fut perpétré précisément par ces chevaliers là, pour éviter que soit révélée l’origine servile de plusieurs membres de la famille du Prévôt.
Mieux même : on connaît quelques exemples de serfs qui furent faits chevaliers par leur maître. Il est parfois précisé que leur affranchissement est « temporaire », conditionnel. Il tient en effet à leur profession militaire, et prendra fin s’ils ne sont plus en état de l’accomplir, ou si leurs descendants ne sont pas adoubés avant 25 ou 30 ans. De tels cas furent sans aucun doute plus nombreux dans la réalité que ne le suggèrent les occurrences de ces mentions dans les textes : ceux ci, on le sait, s’intéressent surtout aux puissants et délaissent généralement les humbles. Même ainsi, ces cas sont assez clairs et nombreux pour interdire toute confusion entre noblesse et chevalerie avant la fin du 12ème siècle.
L’exercice de la chevalerie, toutefois, pouvait créer des condition favorisant l’accès à la noblesse. On le voit bien par l’exemple de Sabilis, un serf de l’abbaye de Fleury sur Loire. Fugitif, il s’était établi près de Troyes, s’était fait passer pour chevalier et avait réussi à épouser une femme de rang noble. Sa macule servile fut révélée lors d’un duel judiciaire remporté par le champion (noble) de l’abbaye venu revendiquer la possession de ce serf, et qui l’obtins. Il n’était probablement pas facile, pour un serf, de passer pour chevalier sans l’accord de ses maître. Plus nombreux furent, sans doute, les chevaliers serfs ou simplement non nobles, qui furent admis dans la chevalerie de leurs maîtres, avec leur accord et sur leur initiative. Ils purent ainsi, par l’exercice des armes, atteindre un niveau social leur permettant (à eux ou plus aisément, à leurs descendants), de parvenir aux marges de la noblesse.
Les textes en signalent quelques-uns. Cette promotion, notons-le, fut le plus souvent acquise par suite des largesses de leur maître leur concédant une terre, ou une épouse de rand supérieur au leur. La chevalerie a donc été pour eux un moyen d’accéder à la (petite) noblesse.
De l’ensemble de ces faits, on ne peut donc nullement conclure que la chevalerie « confère » la noblesse, ni même qu’elle affranchit définitivement de la servitude.
Pour la période allant du milieu du 13ème siècle au milieu du 15ème siècle, il y a une traduction (de façon quelque peu caricaturale) d’une réelle inversion ou, si l’on veut, d’une mutation. Jusqu’alors, la quasi totalité des nobles (mâles) étaient chevaliers : mais tous les chevaliers, il s’en faut de beaucoup, n’étaient ni issus de nobles, ni tenus eux même pour tels.
La situation change à partir de la fin du 12ème siècle, en liaison avec une forte réaction nobiliaire suscitée par la montée économique et sociales de la bourgeoisie et dirigée contre elle. Cette réaction s’exprime à la fois dans les textes historiques et dans la littérature. Elle conduit à interdire désormais l’adoubement, devenu hautement honorifique, aux fils de familles roturières. En d’autres termes, l’aristocratie ferme aux non-nobles l’accès à la chevalerie, qu’elle réserve à ses fils. Plusieurs documents législatifs traduisent dans les faits cette nouvelle attitude. Dès 1154, en Sicile normande, les Assises d’Ariano exigent de tout homme voulant se faire adouber la preuve qu’il compte un chevalier parmi ses ancêtres. En 1186, l’empereur Frédéric Barberousse inflige une amende à tout seigneur qui adouberait des fils de clercs ou de paysans. Entre 1200 et 1230, les coutumes, mises par écrit en diverses régions, réservent l’accès à la chevalerie aux seuls fils de chevaliers, ou aux possesseurs de terres réputées nobles.
Ces restrictions ont une double signification. D’une part, elles permettent à l’aristocratie de « filtrer » l’accès à la chevalerie, la transformant ainsi en corporation réservée aux nobles. D’autres part, elles réservent aux souverains la possibilité de récompenser certains personnages en leur accordant des lettres de dispenses.
La première moitié du 13ème siècle marque donc une sorte d’Etat d’équilibre entre noblesse et chevalerie. Les deux termes ne sont pas équivalents, mais ils s’appliquent très généralement aux même personnages.
A partir de cette même date pourtant, nous assistons à l’illustration d’une implication d’un phénomène inverse. Différents facteurs l’expliquent : Le coût croissant le l’armement, le caractère de plus en plus somptuaire de l’adoubement, le besoin moindre de chevaliers, le rôle accru des autres spécialistes de la guerre… ces différents facteurs conduisent beaucoup de familles nobles à ne plus faire adouber tous leurs fils. Cet adoubement devient d’ailleurs moins nécessaire dans la mesure où le concept de noblesse se précise, accentue ses caractères juridiques et souligne le rôle fondamental de la transmission héréditaire, l’importance primordiale et quasi exclusive du sang.
Même s’ils ne sont pas « faits chevaliers », ces jeunes « damoiseaux » n’en sont pas moins considérés comme nobles ; ils ne perdent ni leur statut, ni leurs privilèges. Le nombre des nobles non chevaliers devient donc considérable, dans la société aristocratique, jusqu’au sein même de la société guerrière.
Les soldes des chevaliers ne sont plus assez attractives. Selon P. Contamine, la proportion des nobles adoubés passe, entre 1300 et 1500, de 33% à moins de 5%.
L’adoubement devient alors un honneur supplémentaire, presque superfétatoire, qui rehausse l’éclat de la noblesse, même guerrière.
Du Guesclin, le vaillant capitaine d’armée, fu fait chevalier à l’âge de 34 ans, en 1354. D’autres le furent plus tard encore. L’adoubement, on l’a vu, se mue par la suite en décoration honorifique de fin de carrière, conférée en récompense de services rendus.
Toutefois l’existence de chevaliers qui ne sont pas issus de la noblesse perdure, ces derniers sont admis dans la chevalerie par lettres de dispenses des souverains, à titre exceptionnel.
Ainsi, tout au long du Moyen Age, noblesse et chevalerie ont entremêlé leur destin. Jamais, cependant, les deux termes n’ont été synonymes, ni leurs concepts équivalents.
La chevalerie a vu peu à peu son éclat s’accroître, attirant la noblesse qui la dirige depuis toujours à en revendiquer l’appartenance, le contrôle, puis dans une large mesure, l’exclusivité.
La « noble corporation » des guerriers d’élites est ainsi devenue, au 13ème siècle, la corporation élitiste des nobles chevaliers, avant de se transformer à la fin du Moyen Age, en confrérie nobiliaire à caractères honorifiques.
Les ordres laïcs de chevalerie marquent, en ce domaine, le point d’aboutissement d’une évolution étalée sur un demi-millénaire.
Cet article a été réalisé grâce à l’ouvrage de Jean FLORI : « La chevalerie ». Jean Flori, Docteur d’Etat es Lettres et Sciences humaines est depuis 1987 directeur de recherche au CNRS et exerce depuis 1992 au Centre d’Etudes Supérieures des Civilisations Médiévales de Poitiers.